Les leçons de l’Équateur pour l’annulation de la dette illégitime
Le gouvernement fait entrer le Fmi, qui n’est pas pour le moment un créancier important de la Tunisie, sur la pointe des pieds. Mais comme le dit l’adage populaire, il y a la carotte qu’on vous montre et il y a le bâton qui est derrière la porte.
Il est tout à fait intéressant de voir en quoi l’expérience qui s’est déroulée en Équateur peut être utile dans le processus en cours en Tunisie et dans de nombreux autres pays |1|. C’est particulièrement intéressant pour les mouvements, les organisations politiques qui veulent s’emparer de la question de la dette. Ce qui est en jeu, c’est de réduire radicalement le poids de la dette et ainsi de donner une chance à la Tunisie d’avoir les moyens d’améliorer de manière significative les conditions de vie de la population, d’améliorer les infrastructures, d’améliorer les possibilités sociales et économiques du pays, de préserver la nature. Cela pourrait maintenant se faire dans le cadre d’une reconquête de la souveraineté et de la dignité du pays et de son peuple suite à la révolution qui a eu lieu en décembre 2010-janvier 2011.
LE PEUPLE EQUATORIEN CONTRE LA DETTE
A partir de la fin des années 1990, une série de mouvements sociaux équatoriens, notamment Jubilé 2000 Guayaquil (la ville commerciale la plus importante et le plus grand port de l’Équateur), a commencé à mener campagne contre la dette injuste réclamée au pays. Les positions de ces mouvements sociaux étaient au départ assez modérées et confuses. Par exemple, ils se sont rendus à une réunion du Club de Paris en 1998 en pensant qu’ils pourraient négocier une restructuration de la dette équatorienne et obtenir un allègement très important. Au bout de deux ans, ils se sont rendus compte que le Club de Paris n’avait aucune volonté de négocier et qu’ils avaient accepté de discuter uniquement pour des questions de relation publique.
En 2001-2002, le Cadtm international et le Centre des droits économiques et sociaux (Cdes) ont commencé à mener une campagne sur la question particulière de la dette de l’Équateur constituée par la vente de bateaux de pêche par la Norvège à l’Équateur. Les deux groupes ont constitué un dossier pour démontrer que cette dette à l’égard de la Norvège était une dette illégitime parce que la Norvège avait vendu ces bateaux à l’Équateur non pour servir les intérêts équatoriens mais pour répondre à la crise d’un secteur important d’exportation de la Norvège, en l’occurrence les chantiers navals.
La Norvège recherchait des pays prêts à acheter des bateaux de pêche, pourtant ceux achetés par l’Équateur n’ont quasiment jamais servi à la pêche mais à transporter des bananes au profit d’une des grandes fortunes du pays. Cet exemple concret illustre comment on a commencé à mener campagne contre la dette : en ciblant une dette particulière et en introduisant la notion de dette illégitime. On a réussi à s’allier à l’organisation norvégienne Slug et à introduire la notion d’audit, pour faire la clarté sur ce qui était réclamé à l’Équateur.
Cette campagne s’est déroulée dans un contexte de grandes mobilisations sociales à la fin des années 1990 et au début des années 2000, avec plusieurs mouvements populaires très importants qui se sont débarrassés de deux présidents néolibéraux en 2000 puis en 2005. Il y avait déjà eu des mobilisations importantes dans les années 1990, mais, en 2000, le président néolibéral a été renversé par une mobilisation populaire ; suite à des élections, il a été remplacé par un autre président, Lucio Guttierez, qui a mené une campagne sur un programme anti-Fmi, un programme de gauche et anti-États-Unis. Mais une fois élu, il a changé complètement de discours et a dit : «je suis le meilleur ami des États-Unis, Chavez est notre ennemi». Cela a provoqué du mécontentement, de la frustration et un nouveau soulèvement populaire en 2005. Le président a dû s’échapper du palais présidentiel en hélicoptère, avant que ne soit mis en place un gouvernement de transition dont Rafael Correa, qui allait être élu président de la République en décembre 2006, était ministre des Finances, dans un contexte où le prix du pétrole est assez élevé.
Le thème de la dette est un thème important parce que les mouvements sociaux menaient campagne sur la dette depuis 7 à 8 ans. En tant que ministre des Finances, Raphaël Correa prend l’initiative d’allouer tous les suppléments de revenus créés par la hausse du prix du pétrole à des dépenses sociales d’éducation et de santé. Il n’est pas question que les revenus supplémentaires générés par le pétrole soient absorbés par le remboursement de la dette. Cette dette est illégitime, la population doit donc bénéficier des revenus d’exportations et des recettes fiscales qu’ils génèrent.
La Banque mondiale (Bm) et le Fmi réagissent durement et refusent que l’argent qui provient des recettes pétrolières aille aux dépenses sociales. La Bm menace de suspendre ses prêts à l’Équateur si une telle mesure est prise. R.Correa refuse de se plier au diktat de la Bm et défend sa position dans le gouvernement. Il préfère démissionner que de retirer le décret qui défend les intérêts du pays et se retrouve ainsi dans l’opposition.
Le président intérimaire qui remplace Guttierez lance alors une commission d’audit, mais avec des pouvoirs très restreints. Elle effectue cependant un travail d’étude de la dette équatorienne intéressant et cela contribue à populariser encore un peu plus la question de la dette. En 2006, lors des élections présidentielles, Correa se présente et met en avant :
- la nécessité de changer radicalement la Constitution du pays pour une démocratisation politique fondamentale ;
- la nécessité de mettre fin à la dette illégitime.
Son message est le suivant : «Élisez moi comme président et je m’engage à prendre des mesures pour que le pays arrête de payer une dette illégitime».
Il annonce aussi que s’il est élu président, il mettra fin à la base militaire navale mise à disposition de l’armée états-unienne par l’Équateur. Il s’agit ainsi de rendre à l’Équateur sa souveraineté et sa dignité. Il mettra aussi fin aux négociations avec les États-Unis concernant un traité de libre échange. Les grands thèmes de la campagne de Correa sont donc : démocratisation politique, changement constitutionnel, annulation de la dette illégitime, récupération de la souveraineté en mettant fin à la présence de l’armée américaine sur leur territoire et arrêt des négociations pour un traité de libre échange avec les États-Unis.
RAFAEL CORREA ANNULE DES DETTES ODIEUSES
Il est élu en décembre 2006, mène bataille en février-mars 2007 pour un référendum sur une nouvelle Constitution, référendum qu’il gagne alors que toute l’opposition et les grands médias étaient contre lui. L’étape suivante est le règlement de la dette… à partir de mai 2007.
La première initiative de Correa est d’expulser le représentant permanent de la Bm en Équateur. Le message est clair : la Bm n’a pas respecté la souveraineté de l’Équateur en 2005, ce qui a conduit à la démission de Correa. La Bm s’immisce dans les affaires du pays, dehors ! Bm, dégage !
En juillet 2007, par décret présidentiel, Rafael Correa institue une commission d’audit. Du côté équatorien, il y a d’une part, des représentants de la société civile « d’en bas », c’est-à-dire les mouvements sociaux, et d’autre part quatre corps de l’État : la Cour des comptes, la commission anti-corruption, le ministère des Finances et de l’Économie, et le ministère de la Justice. S’y ajoutent six représentants étrangers experts en matière de dette. C’est à ce titre que j’ai fait partie de cette commission dont le mandat était d’analyser la dette publique interne et externe entre 1976 à 2006.
Nous avions le pouvoir d’obtenir toutes les informations nécessaires à notre travail d’audit afin d’établir un rapport sur les dettes illégitimes et de faire des recommandations au gouvernement et à l’État. Nous avons travaillé quatorze mois, puis nous avons remis nos conclusions et nos recommandations au gouvernement. Pendant ces quatorze mois, nous avons eu trois réunions avec la présidence de la République et le gouvernement, qui a ensuite étudié nos recommandations et nos conclusions pendant un mois et demi. En novembre 2008, il a annoncé la suspension unilatérale du remboursement de la dette commerciale, c’est-à-dire la dette sous la forme de titres vendus sur les marchés financiers et venant à échéance en 2012 et en 2030.
Pendant six mois, l’Équateur a laissé les marchés financiers sans informations. Il les a laissés dans l’incertitude complète. La décision a été prise sans la rendre publique au préalable. L’Équateur a chargé la banque Lazard, banque internationale bien connue, de racheter les titres sur le marché secondaire de la dette pour le compte de l’État mais sans le dire officiellement. Cela a permis à l’Équateur de racheter une bonne partie des titres et ensuite de faire une offre aux détenteurs de titres restants, ceux qui n’avaient pas encore été vendus à la banque Lazard.
Le gouvernement a proposé de racheter les titres à 35% de leur valeur, mais il en avait déjà racheté une partie à 20% de leur valeur. L’offre a été faite en avril 2009 et, en juin 2009, l’Équateur a annoncé officiellement qu’il avait racheté 91% des titres. L’offre se concluait, les 9% de titres restants ne seraient plus rachetés. Les détenteurs des titres avaient eu suffisamment de temps pour les vendre à l’État.
Pour conclure, l’opération a couté environ 900 millions de dollars avec lesquels le gouvernement a racheté pour 3200 millions de dollars de titres. L’économie globale, si on compte les titres rachetés au rabais et les intérêts qu’il n’était plus nécessaire de payer jusqu’en 2030, est de 7 milliards de dollars. Ils ont pu être utilisés pour augmenter radicalement les dépenses publiques en particulier dans la santé publique, dans l’éducation et dans les infrastructures.
Si on regarde le budget équatorien, on voit qu’à partir de 2009-2010, les dépenses qui vont au service de la dette baissent radicalement et les dépenses qui vont aux dépenses sociales utiles augmentent de manière extrêmement importante, permettant une amélioration des conditions de vie de la population. Cela explique d’ailleurs pourquoi la population a réélu Correa en 2009 pour un nouveau mandat dans le cadre de la nouvelle Constitution. Son mandat s’est terminé début 2013. Il s’est à nouveau présenté aux élections et vient d’être réélu avec 57% des voix, soit davantage de voix pour son troisième mandat que pour les deux premiers !
Quelles conclusions tirer ? Correa a gagné les élections de 2006 notamment parce qu’il a mené bataille contre la BM et sur la question de la dette illégitime. C’était l’un des thèmes principaux de sa campagne et c’est sur cette base qu’il a gagné un appui populaire tout à fait significatif. La première leçon est la suivante : une organisation ou un candidat ou un front d’organisations, par exemple le front populaire qui est dans l’opposition, peut convaincre une partie importante de l’opinion publique de le soutenir pour aller au gouvernement afin de prendre des mesures de manière à mettre fin au paiement d’une dette illégitime. C’est possible s’il y a aussi un travail qui a été fait pendant des années à la base par des mouvements sociaux. C’est ce que fait Raid-Attac-Cadtm, depuis maintenant 10 ans. C’est aussi ce que l’association Acet fait parmi les migrants tunisiens en France. C’est un travail qui prépare le terrain, qui ouvre les esprits. Les discours sur la dette sont extrêmement importants pour toucher l’opinion publique tunisienne et montrer que c’est un thème central. Une autre leçon importante à tirer de l’exemple équatorien est qu’on ne peut pas faire confiance à la Bm et au Fmi.
FMI : LA CAROTTE ET LE BATON
Le projet de lettre d’intention que le gouvernement tunisien veut envoyer au Fmi |2|, projet maintenant public car la radio Shems l’a publié sur son site internet, montre qu’il est question d’emprunter environ 2,7 milliards de dinars tunisien auprès du Fmi dans le cadre de conditions auxquelles le gouvernement tunisien dit qu’il est prêt à se soumettre.
On sait très bien que dans la réalité, c’est la mission du Fmi qui se réunit avec les autorités tunisiennes et dicte en grande partie le contenu de la lettre, notamment les engagements à adopter certaines mesures économiques, politiques et sociales prescrites par le Fonds. C’est la même chose depuis 20 à 30 ans. Dans le document qui est maintenant sur la place publique, il y a tous les dispositifs traditionnels de la politique du Fmi. D’un côté, le Fmi prête 2,7 milliards de dinars et n’exige aucun remboursement pendant trois ans et demi. C’est, pour un gouvernement, une « carotte » formidable. Le gouvernement peut présenter à la population cela comme une marque de confiance des grands organismes internationaux. Cela donne la possibilité au pays de maintenir une bonne note ou de rétablir la note du pays attribuée par les agences de notation. Il y a de l’argent qui entre mais pas d’argent qui sort. Confiance des créanciers internationaux, confiance des institutions internationales, l’argent arrive. Le gouvernement peut faire valoir de meilleures possibilités pour mieux gérer les institutions.
Dans l’opinion publique, il y a généralement des doutes, voire des critiques par rapport à la gestion des banques publiques et privées. Si le gouvernement parle d’un audit des banques, cela peut donner le sentiment que l’on va réformer les banques, le système de pension, le système de subvention aux Produits de première nécessité (Ppn) et aux services. Ainsi, le document est rédigé d’une manière prudente parce qu’aujourd’hui, en Tunisie, la population est en activité permanente. Les partis, les mouvements d’opposition sont très vigilants quant aux mesures qui pourraient affecter les conditions de vie de la population.
Le gouvernement fait entrer le Fmi, qui n’est pas pour le moment un créancier important de la Tunisie, sur la pointe des pieds. Mais comme le dit l’adage populaire, il y a la carotte qu’on vous montre et il y a le bâton qui est derrière la porte.
LA « STRATEGIE DE LA GRENOUILLE »
On applique maintenant en Tunisie une stratégie qui est connue dans le langage intérieur de la Bm et du Fmi comme « la stratégie de la grenouille ». Si vous jetez une grenouille dans une casserole d’eau bouillante, elle va très vite bondir hors de la casserole. Mais si vous la plongez dans une casserole d’eau froide que vous faites chauffer progressivement, elle ne détectera pas le seuil de température où elle doit bondir et elle mourra.
Dans certains pays, le Fmi et la Bm n’appliquent pas la stratégie de choc mais la stratégie de la grenouille, c’est-à-dire qu’on y va progressivement mais de manière à paralyser le corps social comme on a paralysé la grenouille. Il ne se rendra même pas compte qu’on l’a chloroformé par les politiques néolibérales, par le type de médecine auquel a été soumise la société. Le document montre qu’il est prévu d’appliquer la «stratégie de la grenouille» en Tunisie, ce qui n’empêchera pas le Fmi d’appliquer éventuellement, par la suite, une stratégie de choc si ses positions se renforcent dans le pays.
On voit aussi très clairement dans ce document que le Fmi ne vient pas seul, mais avec la Bm, déjà présente dans le pays, mais le document prévoit que la Bm participera à l’audit des banques, donnera des conseils sur la politique fiscale et la réforme du système de subvention. En ce qui concerne les subventions, on retrouve dans le document le discours classique des institutions financières, selon lesquelles les subventions généralisées profiteraient à une partie des gens qui n’en ont pas besoin, ce qui n’est par ailleurs pas totalement faux.
Mais c’est un discours populiste de la Bm pour mettre fin à des subventions en prétendant cibler strictement les plus nécessiteux de la population et en leur apportant des aides financières directes. C’est la politique générale de la Bm dans tous les pays depuis 10 ans maintenant : remplacer des subventions par des aides financières directes. Or, si on fait le bilan précis de ces politiques, on voit que dans certains pays, certains secteurs peuvent avoir une petite amélioration mais que l’objectif qui est recherché est de diminuer le montant des dépenses publiques sous forme de subventions sans régler réellement et sans améliorer de manière significative les conditions de vie de ceux qui en ont le plus besoin.
Le document parle très explicitement de réduire l’impôt payé par les sociétés. Mais pour faire passer la pilule, de nouveau, il est dit qu’il y aura un effet neutre de la baisse des impôts sur la société. Comment présentent-ils les choses ? L’impôt sur les sociétés va baisser et, dans le même temps, certaines niches fiscales vont être supprimées pour que les sociétés soient quand même imposées suffisamment. Le résultat est évident : avec la baisse des impôts, les recettes des impôts sur les grandes entreprises nationales et internationales vont aussi diminuer d’ici un an et demi à deux ans. La baisse des recettes sera alors comblée par une augmentation de la Tva. C’est donc toute la population qui va payer la note et en particulier les secteurs les plus pauvres, y compris les travailleurs du secteur informel. Car s’il est vrai que le secteur informel ne paie pas d’impôts sur le revenu, les travailleurs de ce secteur consomment et donc payent des impôts sur tous les produits de consommation. Le front populaire et les mouvements sociaux devraient tenter de convaincre les travailleurs du secteur informel qu’ils ont intérêt à rentrer dans le secteur formel si on réformait le système de la Tva. Ils pourraient récupérer, s’il déclarait réellement leurs revenus, une partie de la Tva. S’ils rentrent dans le secteur formel, cela créerait des emplois statutaires tout à fait intéressants et il y aurait de l’argent qui entrerait dans le système des pensions, dans le système de la sécurité sociale, etc. Le document dit aussi qu’il faut réformer les pensions, mais sans préciser comment.
Cependant, on sait très bien que la philosophie de la réforme des pensions pour la Bm, c’est généralement de durcir les conditions auxquelles les gens accèdent à la pension. Donc il est très important de dire que la dette qui va être contractée par la Tunisie à l’égard du Fmi est une dette illégitime. C’est un cadeau qui est fait au gouvernement actuel puisqu’il ne va pas rembourser pendant trois ans et demi et que la charge va porter sur le gouvernement suivant et sur tous les citoyens tunisiens dans trois ans et demi. D’autre part, va s’ajouter à cela l’effet des réformes que les autorités actuelles se seront engagées à réaliser.
NON A LA DETTE ODIEUSE TUNISIENNE
Pour en revenir aux enseignements de l’Equateur, si l’opposition tunisienne veut réellement que le pays retrouve de manière définitive sa dignité, son indépendance, sa souveraineté et que les richesses soient distribuées de manière à respecter les normes de justice sociale et que des réformes soient effectuées pour que les autorités publiques reprennent le contrôle sur les axes stratégiques du développement du pays, il est fondamental de dire qu’il faut auditer les dettes, qu’il faut refuser de payer la dette odieuse.
La Tunisie a un argument beaucoup plus fort que ne l’avait Correa quand il est arrivé au pouvoir. La dictature auquel l’Équateur a été soumis remontait à plus de 25 ans. Les dettes qui étaient réclamées à l’Équateur étaient des dettes contractées par des gouvernements qui menaient des politiques néolibérales, mais des gouvernements démocratiquement élus. Ils ont été rejetés par des mobilisations populaires mais il y avait eu des élections. La Tunisie a hérité d’une dette léguée par le régime de Ben Ali et, sans aucun doute aux yeux du droit international, il s’agit d’une dette odieuse.
En plus du crédit que le gouvernement tunisien s’apprête à demander au Fmi, tous les prêts qui ont été réalisés depuis la chute de Ben Ali doivent aussi faire l’objet d’une dénonciation et d’une critique. La société civile tunisienne d’en bas et les forces d’oppositions qui veulent une issue de justice sociale et de dignité nationale ont des arguments que n’avaient pas Correa et ceux qui l’ont soutenu. Ne gâchez pas cette occasion ! Renforcez le travail d’audit, à partir d’en bas, à partir de l’opposition, à partir des mouvements citoyens ! Voyez évidemment avec les parlementaires qui sont prêts à s’engager dans ce travail qui peut être fait en collaboration étroite avec les mouvements sociaux et avec toutes les forces qui veulent faire la clarté sur la dette ! Faites de ce combat du non paiement de la dette illégitime un drapeau extrêmement important de votre politique quotidienne. Essayez de rendre conscient le citoyen et la citoyenne lambda ici en Tunisie, qui ne se rendent pas compte immédiatement des impacts de la dette sur leur vie quotidienne. Essayez de rendre concret le poids de cette dette sur leur budget, sur les problèmes qu’ils rencontrent pour que les enfants puissent dignement aller à l’école, pour qu’ils puissent avoir un jour l’espoir d’aller à l’université, pour que, s’ils obtiennent un diplôme, ils aient une chance de trouver un emploi qui corresponde à leur diplôme.
Il faut faire comprendre à la population que pour que cela ait lieu, il faut refuser de payer la dette illégitime. On ne peut pas créer des emplois massivement, on ne peut pas améliorer la santé publique, on ne peut pas améliorer les infrastructures du pays avec des prêts empoisonnés de la Bad, du Fmi, de la Bm, des marchés financiers et des bailleurs bilatéraux. On ne peut pas non plus remercier des pays qui, comme l’Allemagne ou la France, disent « je vous pardonne pour la dette que vous avez contractée et je la transforme en fonds de conversion ». |3|
Si des pays ont soutenus Ben Ali, les créances qu’ils ont sur la Tunisie aujourd’hui sont des dettes odieuses et une dette odieuse doit être annulée, elle ne doit pas être convertie. Une conversion, c’est un blanchiment de dette odieuse. Si l’Allemagne, la France, la Belgique |4|, les autres pays occidentaux veulent aider la Tunisie, qu’ils fassent des dons directs, qu’ils versent à un fonds de développement tunisien sous le contrôle des mouvements et de la société civile tunisienne pour des projets de développement élaborés avec la participation de la population tunisienne. Que de l’argent nouveau arrive, qu’il arrive dans un fonds transparent contrôlé par la société et qu’il aille à des projets où la population voit directement que cela améliore ses conditions de vie.
Voilà en quoi une expérience qui s’est faite à 10 000 km d’ici peut être utile pour la Tunisie. Si vous, Tunisiens et Tunisiennes, vous nous demandez notre expertise et notre soutien, vous l’aurez, les Équatoriens sont prêts à vous aider. Emparez-vous de toutes ces propositions et appropriez-vous le combat de la dette, faites-en votre combat, c’est comme cela que vous pouvez gagner et transformer réellement la société tunisienne.
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** Éric Toussaint est président du Comité pour l'annulation de la dette du tiers monde de Belgique (Source Cadtm.org).
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NOTES
|1| Le présent texte est la retranscription d’une conférence donnée par Éric Toussaint à Tunis le 31 mars 2013. La retranscription a été réalisée par Nirina Fenitra. Le texte a été revu par Danielle Sabai et Damien Millet. La version vidéo est disponible : http://bit.ly/1834njG
|2| Voir cette lettre d’intention : http://cadtm.org/Le-CADTM-le-collectif-ACET-s
|3| Voir http://cadtm.org/La-Belgique-doit-annuler-la-dette
|4| Voir http://cadtm.org/La-Belgique-doit-annuler-la-dette