Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles : Pourquoi l’Algérie ne l’a pas encore ratifiée ?

L’Algérie est parmi les derniers pays membres de l’Unesco qui n’ont pas encore ratifié la convention de 2005, avec les Etats-Unis, la Biélorussie, la Birmanie ou encore l’entité sioniste. En fait ratifier cette convention c’est, pour le ministère de la Culture, se mettre des bâtons dans les roues et freiner une stratégie hégémoniste sans commune mesure qui porte gravement atteinte à la liberté d’expression artistique et d’action culturelle.

« C’est pour cela [pour défendre le droit de notre peuple à créer tout en préservant son identité propre] que l’Algérie a ratifié ou signé deux conventions capitales de l’Unesco : celle du patrimoine immatériel et celle de la diversité des expressions culturelles » (Revue Djawhara, n°24, mai 2012, p. 22).

Alors que l’Algérie n’a pas encore ratifié la convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, c’est en ces termes que la ministre de la Culture a affirmé le contraire. Désinformation ou ignorance de son secteur ? L’une ou l’autre sont graves.

Là n’est pas l’objet de cet article, mais cela prouve en tout cas la confusion que provoque cette convention centrale qui est en train d’opérer des changements profonds dans les rapports de force en matière d’industries culturelles dans le monde (surtout entre les pays développés et les pays en développement).

Quand on sait que pour profiter des « bienfaits » de cette convention, des pays comme la Tunisie, l’Egypte, l’Indonésie, l’Afrique du Sud ou encore le Maroc l’ont ratifiée, et quand on sait aussi que pour éviter son caractère contraignant des parties membres de l’Unesco comme les Etats-Unis, la Corée du Nord ou encore l’entité sioniste ne l’ont pas ratifié pour des raisons compréhensibles, on se demande qu’elles sont les vrais raisons qui font qu’un pays comme l’Algérie a choisi de ne pas ratifier cette convention.
Retours sur une ratification inaboutie.

UNE CONVENTION « REVOLUTIONNAIRE »

La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée par l‘Unesco en octobre 2005 et entrée en vigueur en 2007, marque l’ancrage au niveau international de la nouvelle approche de « diversité culturelle » après l’effondrement du bloc soviétique.

En effet, alors que jusque-là l’approche en matière de culture, dans plusieurs pays, était à l’uniformisation (notamment en Algérie), la convention de 2005 consacre la diversité culturelle comme un ciment des nations et une richesse pour le monde. La protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles doivent par conséquent être un principe légitime à intégrer dans les politiques de développement. Cette convention qui se concentre sur les activités, les produits et les services culturels qui véhiculent la diversité culturelle, marque un bond historique dans leur traitement juridique. Menacés dans la diversité culturelle qu’ils portent par à une mondialisation accrue, ces activités, services et produits sont désormais reconnus comme étant spécifiques.

Avec cette reconnaissance historique, la convention de 2005 vient se mettre en opposition avec les accords de libre-échange, surtout ceux relatifs au droit de l’Organisation mondiale du commerce (Omc) qui prohibe par exemple les restrictions quantitatives d’importation des biens culturels et artistiques et tout système de quota, et qui peuvent considérer les aides de l’Etat dans le commerce des biens culturels comme des subventions qui devraient être conformes aux conditions posées par l'accord de l'Omc sur les subventions et mesures compensatoires.

Cet instrument contraignant qui est la convention de 2005 peut donc être utilisé comme un « joker » dans des accords commerciaux futurs mais aussi pour remettre en cause des accords déjà existants. Ainsi, le ministre des Relations internationales du Québec, a récemment déclaré que la convention sera citée pour la première fois dans un accord de commerce entre le Canada et l’Union européenne et que l’exemption culturelle sera complète. La France, pour faire valoir sa position sur l’« exception culturelle » lors des négociations très houleuses en cours entre l’Europe et les Etats-Unis, a sorti cette convention pour protéger ses produits audiovisuels.

Pour se mettre d’accord sur le texte de la convention, il aurait fallu plusieurs mois de tractation au sein de l’Unesco avant de trouver un terrain d’entente entre les pays membres et adopter le texte final. Les questions de la religion et de l’ethnicité ont été écartées et de nombreux pays ont insisté pour parler d’expressions de la diversité culturelle et non pas de diversité culturelle tout court.

L’Algérie, représentée par sa délégation à l’Unesco, n’a eu aucun rôle lors des négociations, menées surtout par des pays comme l’Afrique du Sud, le Maroc, l’Allemagne ou encore le Canada.

La Convention de l’Unesco sur la diversité des expressions culturelles a reçu à ce jour l’adhésion de 129 Etats dont le Nigeria, la Chine, la Jordanie, le Qatar ou encore, la dernière en date (le 4 juin 2013), celle du Maroc. Ce dernier a mis du temps pour adhérer à cette convention à cause des pressions faites par les Etats-Unis avec lequel il a un accord de libre échange qui ne reconnaissent pas le caractère spécifique du produit culturel. C’est sous la pression de sa société civile que le gouvernement marocain a ratifié la convention.

UNE EXCEPTION ALGERIENNE !

L’Algérie est donc parmi les derniers pays membres de l’Unesco qui n’a pas encore ratifié la convention de 2005, avec les Etats-Unis, la Biélorussie, la Birmanie ou encore l’entité sioniste. Pourtant, par Décret présidentiel n° 09-270 daté du 30 août 2009, la décision a été prise au plus haut niveau de l’Etat pour la ratifier, sauf que la procédure dictée par l’Unesco n’a jamais été accomplie à ce jour.

L’on sait que la procédure de ratification des textes internationaux en Algérie est complétement administrative et n’a aucune dimension sociétale. La procédure, qui exclue l’Assemblé nationale, se déroule en vase clos au sein de l’exécutif, entre les services de la présidence de la République, de la chefferie du gouvernement, du ministère concerné et de quelques hauts fonctionnaires.

Si la délégation algérienne à l’Unesco explique que c’est la lenteur de cette procédure administrative qui retarde la ratification de cette convention phare, nous pensons que des parties intervenantes lors de cette procédure bloquent cette ratification quelque part. Trois hypothèses sont plausibles.

La première hypothèse concerne le ministère de la Culture. Même si, à premier abord, la Convention sur la protection et la promotion des expressions de la diversité culturelle peut paraitre comme bénéficiant à la stratégie hégémoniste qu’il entreprend depuis une dizaine d’années, en ce sens où la convention de 2005 appelle à renforcer l’intervention de l’Etat dans le secteur culturel pour une sorte de protectionnisme culturel, elle contraint néanmoins la Partie à « fournir aux industries culturelles nationales indépendantes et aux activités du secteur informel un accès véritable aux moyens de production, de diffusion et de distribution d’activités, biens et services culturels ». Elle contraint aussi le pays qui l’a ratifie à reconnaitre « le rôle fondamental de la société civile dans la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Les Parties encouragent la participation active de la société civile à leurs efforts en vue d’atteindre les objectifs de la présente Convention. »

Or, le secteur culturel indépendant (associations culturelles et artistiques surtout) continue à être considéré par le ministère de la Culture comme un ennemi qu’il faut combattre à tout prix. Le secteur privé, pour sa part, a de grandes difficultés à émerger car très critiqué et considéré comme un secteur qui a « échoué » dans la gestion d’un secteur dans lequel il n’a jamais eu de place pour entreprendre. Ainsi, ratifier cette convention c’est, pour le ministère de la Culture, se mettre des bâtons dans les roues et freiner une stratégie hégémoniste sans commune mesure qui porte gravement atteinte à la liberté d’expression artistique et d’action culturelle.

La deuxième hypothèse concerne les négociateurs côté algérien avec l’OmcEn négociation avec cette organisation très puissante depuis plusieurs années, le gouvernement algérien n’arrive toujours pas à réaliser les critères d’accès à cette organisation à laquelle le Maroc et la Tunisie ont pu accéder depuis déjà 18 ans. Ratifier la convention de 2005 peut constituer un frein supplémentaire à l’adhésion de l’Algérie à l’Omc, car rappelant le, le droit de cette organisation interdit les discriminations de traitement à raison de l'origine des produits.

Pour finir, la troisième hypothèse concerne les cadres de tendance conservatrice installés au plus haut sommet de l’Etat. La diversité culturelle constitue pour plusieurs d’entre eux un danger qu’il faut combattre, car elle remet en cause l’unité nationale. En effet, beaucoup considère cette convention comme un outil de domination, et pensent à tort, qu’en l’adoptant, le pays va ouvrir les portes à la division et aux conflits culturels.

CONCLUSION
Alors que des enjeux majeurs se jouent actuellement autour d’une convention qui attire toutes les attentions et qui mobilisent beaucoup de forces à travers le monde (Fonds international pour la diversité culturelle, Coalition internationale pour la diversité culturelle, U40, etc.), l’Algérie continue à être en dehors de ces transformations, en marge de l’histoire, sans jouer un rôle aucun.

Alors qu’une première volonté de ratification a été affichée en publiant le décret présidentiel n° 09-270, la procédure de ratification a été bloquée par ceux dont la convention pose un problème. Quelle que soit l’hypothèse la plus plausible parmi les trois que nous avions évoquées dans le but de déterminer à quel niveau le blocage s’opère, le plus important, à notre sens, c’est d’ouvrir le débat sur cette convention importante, et sur la problématique qu’elle pose d’une manière plus générale.

Alors que, dans plusieurs pays, la société civile est à l’avant-garde dans l’animation du débat sur la convention de 2005, en Algérie, elle est complétement absente, mais ce constat n’est guère étonnant quand on sait que cette société civile a été décimée par une décennie de mesures antidémocratiques qui limitent la liberté d’organisation et d’entreprenariat dans le secteur culturel et artistique.

Ce qui est sûr en tous les cas, c’est que sans pressions de la société civile, il sera difficile de faire avancer les choses pour une ratification effective qui profitera la diversité culturelle de notre pays.

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** Dr. Ammar Kessab est expert en Politiques culturelles

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